Table ronde #1 L’emploi en Martinique

Comment améliorer l’emploi en Martinique ? C’était le thème de première la Table Ronde de la Renaissance qui s’est déroulée mardi 27 septembre dans la magnifique salle de conférence du Crédit Agricole de Martinique, au Lamentin. Trois intervenants de qualité, Philippe JOCK, président de la CCIM, Henri SALOMON, président de la Chambre des Métiers, et Louis-Daniel BERTOME, vice-président de la Chambre d’Agriculture, ont exposé tour à tour leurs visions, sous la gouverne efficace de l’animateur Serge THALY. Les Tables Rondes de la Renaissance sont à l’initiative du député Renew Europe Max ORVILLE, en vue d’alimenter le grand colloque Européen prévu en Martinique en juin 2023. Une bien belle rencontre qui a rassemblé un large public et qui a donné lieu à des échanges de qualité. En voici le compte-rendu précis :

La vidéo complète ici.

L’EMPLOI EN MARTINIQUE

Selon la note de conjoncture Insee d’avril 2022, le nombre d’emplois salariés s’établit à 121 400 au quatrième trimestre 2021. L’emploi salarié progresse de 0,7%, ce qui représente 860 emplois supplémentaires, 530 dans le secteur privé et 330 dans le secteur public.

L’économie martiniquaise est essentiellement tournée vers le tertiaire (en 2019, 83% des emplois relevaient de ce secteur). Un tiers des salariés travaille dans le secteur public (contre 23% en France métropolitaine).

Évolution du chômage 2018-2021

AnnéeMartiniqueNational
201818,2%8,5%
201915,2%7,9%
202016,4%9%
202113,2%7,4%
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ÉTAT DES LIEUX DE L’ARTISANAT

12 000 entreprises artisanales, réparties dans quatre secteurs d’activités :

  • BTP 47%
  • Fabrication 15%
  • Alimentation 10%
  • Services 28%

80% de ces entreprises sont unipersonnelles.

Importance de l’apprentissage

50% des artisans sont passés par l’apprentissage et l’alternance. Tous les jeunes suivant cette voie trouvent un emploi dans l’année qui suit la fin de leur cursus. De nombreux artisans souhaitant recruter ne trouvent pas de jeunes qualifiés. L’apprentissage est donc une réponse, même si la pandémie a fortement ralenti le recrutement d’apprentis.

Le développement nécessaire de l’apprentissage se heurte à des obstacles propres aux territoires ultramarins. Les financements pour acheter et entretenir le matériel indispensable à la formation sont les mêmes dans l’Hexagone et en Outre-Mer. Or, nos territoires sont soumis à de plus fortes contraintes liées notamment au prix du transport, aux coûts d’acquisition et d’entretien plus élevés en raison du climat (chaleur, humidité, sargasses…).

La Martinique manque aussi de lieux pour accueillir les apprentis.

Économie informelle, précarisation, concurrence déloyale

On constate que de plus en plus d’artisans travaillent à leur domicile, ce qui montre une certaine précarisation.

Pendant le Covid, contre toute attente, le nombre d’immatriculation d’artisans a augmenté. Une analyse plus approfondie du phénomène révèle que ces “nouveaux artisans” sont avant tout des salariés (notamment des collectivités publiques) désireux de développer une activité supplémentaire en micro-entrepreneur. Avec un chiffre d’affaires de moins de 5000 euros par an, ils sont exonérés de leur cotisation à la Chambre des Métiers. La Chambre a ainsi perdu 25% de ses cotisants. De plus, ils viennent concurrencer des artisans qui cotisent, créent de l’emploi, forment des apprentis.

La Martinique reste ainsi dans une économie de “jobs” et de débrouillardise dangereuse pour tout le tissu économique.

Difficultés à recruter et exode des jeunes

Certains métiers souffrent d’un manque d’attractivité et peinent à recruter. C’est le cas de la restauration, bien que les entreprises soient prêtes à embaucher des personnes, même sans qualification.

La Martinique se vide de ses jeunes qui partent tenter leur chance ailleurs. Si les chiffres du chômage baissent, c’est en partie parce qu’il y a moins de demandeurs d’emploi résidant sur le territoire.

« Illectronisme » dans l’artisanat

Une partie des professionnels du secteur souffre d’illectronisme. Ainsi, durant la pandémie, 80% des artisans ont été écartés des aides de l’État car n’étant pas à jour de leurs cotisations, du fait notamment de leur non maîtrise des outils informatiques.

ÉTAT DES LIEUX DE L’AGRICULTURE

On observe une régression de l’emploi salarié agricole de 1,8% entre 2019 et 2020. L’agriculture représente 3,4% de l’emploi salarié, soit 4165 employés en 2020.

Le secteur connait de réelles difficultés :

  • La sécheresse liée au réchauffement climatique, qui a beaucoup impacté la production ces quatre dernières années.
  • Une grande difficulté à recruter surtout pour la banane et la canne. Situation d’autant plus préoccupante que ces secteurs ont vu leurs besoins en main d’œuvre augmenter en raison des changements dans les modes de production (suppression ou diminution des herbicides, des produits phytosanitaires, des épandages aériens…).
  • Manque d’attractivité des métiers agricoles contraignant les exploitants à faire appel à la main d’œuvre étrangère, plus disponible et volontaire.
  • Nécessité d’intégrer les personnes en reconversion professionnelle désireuses de créer leur entreprise dans le secteur agricole et n’ayant pas toujours la formation adéquate.

ÉTAT DES LIEUX DU COMMERCE ET DE L’INDUSTRIE

La création d’entreprises est particulièrement dynamique en Martinique. Le nombre d’entités inscrites au registre du commerce et sociétés était de 40 500 au 31 décembre 2021, et de 43 000 fin septembre 2022. Le secteur des services aux entreprises continue d’augmenter avec 14% de croissance, l’agriculture de 5%, la restauration 2%, et les services aux particuliers stagnent.

Il faut noter que beaucoup de Martiniquais lancent leur entreprise afin de créer leur propre emploi mais cela ne fait pas d’eux des entrepreneurs. Il s’agit avant tout d’entreprises unipersonnelles donc sans salariés, souvent par crainte des difficultés réglementaires liées à l’emploi.

En termes de chiffres d’affaires, on note une reprise d’activités dans les secteurs du tourisme, de l’hébergement et de la restauration. Après – 4% en 2020, le PIB a connu une croissance de 2,6% en 2021.

Augmentation des défaillances d’entreprises

Depuis la fin du “quoiqu’il en coûte”, on observe une augmentation des défaillances d’entreprises. Si le nombre de liquidations judiciaires diminue, celui des liquidations directes est en très forte hausse, les entreprises non viables (entreprises « zombies ») disparaissant avec la fin des aides gouvernementales.

Le nombre de liquidations est préoccupant : entre fin 2019 et fin septembre 2022, elles ont augmenté de 139% !

 Vieillissement de la population… et des dirigeants

Dans une économie tirée par la consommation, le vieillissement de la population est une inquiétude majeure. D’autant plus que cette réalité concerne aussi les chefs d’entreprise : 25% des ressortissants de la CCIM ont plus de 60 ans. Sans transmission-reprise, 10 000 emplois sont directement menacés à moyen terme.

Apprentissage et formation

La CCIM gère un centre d’apprentis dont les effectifs sont passés de 520 en 2016 à 712 en 2022 notamment grâce aux aides de l’État. Mais non seulement ces aides sont insuffisantes eu égard aux coûts locaux mais, de plus, la Collectivité doit encore près d’un million d’euros au titre des contrats d’apprentissage.

L’effort de formation des jeunes est encore insuffisant. Un chiffre interpelle : les évaluations de la Journée défense et citoyenneté révèlent que 30% des jeunes Martiniquais sont en difficulté de lecture et d’écriture. Donc inemployables.

Manque de concertation politique/économie

Le dialogue est très insuffisant entre les mondes politique et économique. Les propositions des acteurs de l’économie ne sont pas suffisamment écoutées, et il n’y a pas non plus de concertation lors de la prise de décisions importantes. Ainsi, aucun acteur économique n’a été consulté sur les évolutions du Programme opérationnel européen alors même qu’il représente des sommes importantes.

Manque d’attractivité de l’île

Coût de la vie, niveaux de salaire, difficultés de transport, moindres possibilités de loisirs… sont autant d’obstacles à l’épanouissement des jeunes et au retour au pays des ultramarins.

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LES PRÉCONISATIONS POUR L’EMPLOI

DÉVELOPPER L’EMBAUCHE ET L’EMPLOYABILITÉ

  • Renforcer la formation sur les secteurs pourvoyeurs d’emplois
  • Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences à l’échelle du territoire
  • Lever les freins réglementaires à l’embauche
  • Mettre en place une politique d’aide au recrutement pour les TPE
  • Développer l’apprentissage
  • Assouplir la réglementation concernant le recrutement de la main d’œuvre étrangère
  • Faciliter l’installation des nouveaux agriculteurs

DÉVELOPPER L’ÉCONOMIE

  • S’engager sur un projet de développement économique clair et fort, et y consacrer de vrais moyens. Transition écologique ? Santé ? Numérique ?
  • Créer une agence de l’attractivité afin d’inverser les flux migratoires et encourager les investisseurs. Il s’agit de reprendre en main et maîtriser la communication sur la Martinique
  • Donner plus de moyens aux Chambres consulaires afin de structurer les filières
  • Valoriser les productions locales auprès des consommateurs
  • Utiliser les recettes de l’octroi de mer de façon plus responsable en investissant une partie dans la création d’entreprises privées et donc d’emplois. Et dégraisser les masses salariales des collectivités
  • Améliorer la fongibilité des aides
  • Lutter contre l’économie informelle
  • Exporter nos savoir-faire dans le bassin caribéen (énergies renouvelables, santé, numérique…)
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